Témoignage d'un "Ancien"
Article de Laurent Grzybowski – novembre 2024
Le rassemblement Alegria qui a réuni près de 800 jeunes, du 25 au 28 octobre à Lille, a montré une fois de plus la vitalité du MEJ et sa capacité d’imagination. Un mouvement toujours « en mouvement » qui depuis plus de soixante ans poursuit sa mission d’éducation humaine et spirituelle auprès des enfants comme des adolescents. Un mouvement en recherche, avec des intuitions pédagogiques novatrices, mais toujours enraciné dans son histoire, dans ses charismes et dans son identité ignatienne. C’est du moins le constat que j’ai pu faire en participant à ce magnifique rassemblement.
Lorsqu’il m’a été proposé de venir à Lille, en tant qu’ami et ancien du MEJ, pour me mettre dans la peau d’un observateur attentif, à la fois critique et bienveillant, avec pour mission de discerner les changements et les continuités du mouvement, je n’ai pas hésité une seule seconde. Mon aventure avec le MEJ a commencé en 1970. Pendant des années, j’y ai mené une vie d’équipe de branche en branche. Puis, devenu étudiant, j’y ai pris des responsabilités, diocésaines d’abord, nationales ensuite (1987-1990). Après mon départ de l’équipe nationale, j’ai continué à animer de temps en temps des camps ou des sessions de formation. Une trentaine au total. Que du bonheur ! Et beaucoup de gratitude. Je sais ce que je dois à ce mouvement qui a forgé ma foi et m’a permis d’être l’homme que je suis. Cette longue expérience a fait de moi un chrétien heureux et m’a permis de m’engager dans le monde.
Et je dois le dire, en participant au rassemblement Alegria, je n’ai pas été dépaysé. J’y ai d’abord retrouvé cet esprit de fête et de joie qui caractérise ces rencontres. Dans un monde troublé, souvent inquiétant, et dans une Église en crise, les initiateurs d’Alegria ont été bien inspirés en choisissant ce thème que je qualifierai de prophétique : « Croire en ce monde, danser chaque seconde ! ». Une manière d’inviter les jeunes, malgré les vents contraires, à s’enraciner dans la confiance et dans l’espérance. Ces derniers ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. « Participer à un rassemblement comme celui-là m’a donnée beaucoup de force et d’énergie pour affronter un quotidien qui n’est pas toujours facile », m’a expliqué Zélie du haut de ses 13 ans. « Dans les temps d’équipe, j’ai pu aussi parler librement de ma vie, sans avoir peur d’être jugée. Et ça, c’est incroyable ! ».
Comme elle, la plupart des jeunes que j’ai rencontré m’ont dit combien ils appréciaient le fait que les relations au sein du MEJ soient placées sous le signe de la bienveillance. « Au lycée, il est difficile d’être soi-même, il y a beaucoup de moqueries », regrette Victoire, 17 ans. « Ici, la question ne se pose même pas. Il y a une confiance à priori et ça, c’est cadeau ! ». C’est aussi l’avis de Pauline, 14 ans : « J’aime les questions/réponses en équipe. On peut raconter notre vie sans se sentir jugé. Au collège, je suis malheureusement obligé de jouer un rôle. » Cette liberté de parole, cette possibilité de s’exprimer en restant soi-même, cette invitation à garder confiance en soi et à cultiver ses talents, fait partie à coup sûr de l’ADN du projet éducatif du MEJ.
Durant ces quatre jours, j’ai été marqué par l’originalité, la densité et la qualité pédagogique des propositions faites aux jeunes, que ce soit à travers les jeux qui ont émaillé la rencontre, à travers la diversité des témoignages (Forum des témoins) ou celle des ateliers. « Dans une séance animée par des jeunes de la JOC, j’ai découvert la langue des signes et ça me donne envie de continuer », témoigne Timothée, 15 ans. « Une fois rentré à la maison, je crois que je vais m’y mettre. » Il y a eu aussi la déambulation dans les rues de Lille avec ses émerveillements, ses Breakdance et ses défis-flashs ; la veillée « Au clair de lune » autour de la figure de Madeleine Delbrêl, le Forum « Oser décider » pour apprendre à discerner sa vocation. « On n’a vraiment pas eu le temps de s’ennuyer », confie Jeanne. « Nous sommes allés de surprise en surprise et cela nous a permis de vivre intensément ce rassemblement. »
Fidèle à la tradition, chaque journée a été rythmée par l’incontournable temps d’offrande (que serait le MEJ sans l’offrande du matin ?), le temps d’équipe, le Stop-carnet, la prière du soir. « J’aime ces moments où nous faisons un retour sur nous-mêmes pour mieux goûter nos vies et leur donner de la profondeur », partage Louise, 16 ans. A l’instar des temps de prière, qui occupent toujours une place importante dans les rassemblements et dans les camps d’été, ce travail de relecture contribue à cette éducation à l’intériorité si chère au mouvement. Parmi les fondamentaux, comment ne pas souligner la place importante laissée à la musique, à la danse et à l’expression collective des jeunes. Ce fut le cas dans la cour du lycée Ozanam ou sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de la Treille, avec la fabuleuse fanfare du Brass Band. Bonne nouvelle ! D’après le sondage réalisé dans la salle du Vivat, au premier jour de la rencontre, un jeune mejiste sur deux jouerait d’un instrument de musique. La relève est assurée !
Au MEJ, « on prie avec son cœur, mais aussi avec son corps », nous rappelle Benoît, animateur, pointant là l’un des objectifs éducatifs du mouvement : contribuer à l’unification de la personne. Vivre l’intuition du MEJ, c’est aussi entrer dans une expérience pour découvrir le Christ cheminant à nos côtés. Une expérience qui se vit d’abord dans les relations bienveillantes et fraternelles qui caractérisent la vie d’équipe. Mais qui se vit aussi dans la manière de vivre et de célébrer l’eucharistie. Pas dans une mécanique des rituels de la foi, mais dans une compréhension du sens donné aux signes liturgiques. Célébrer l’eucharistie, cela demande un engagement intérieur. La messe célébrée dimanche soir à l’église Saint Maurice en fut un signe.
Après avoir vécu Alegria, j’ai le sentiment que la spiritualité ignatienne est de plus en plus au cœur de la démarche du MEJ. Qu’il s’agisse de la pédagogie du choix, de la prière d’alliance, de l’écoute de la Parole de Dieu ou du dialogue contemplatif, pratiqué lors de la célébration dominicale. Autre évolution notable : la place que semble avoir pris l’écologie dans l’esprit des jeunes et dans la démarche du mouvement. Le stand consacré à Laudato Si, installé dans la cour du lycée Ozanam, a rencontré un franc succès. « Beaucoup de TA et d’ES sont venus vers nous pour nous partager leurs préoccupations et pour nous demander quelle sorte d’engagements ils pouvaient prendre en tant que mejistes », raconte Mathilde qui a dirigé plusieurs camps autour de cette thématique. « Chercher et trouver Dieu en toutes choses », n’est-ce pas aussi prendre le temps de contempler la Création, de la respecter et d’en savourer les fruits ?
Porté dans sa conception et dans sa préparation par une équipe de choc ayant fait preuve d’une belle créativité, le rassemblement Alegria de Lille a peut-être ouvert une nouvelle page dans l’histoire du MEJ. Il aura notamment démontré que ce qui fait la force d’un mouvement comme le nôtre, ce ne sont pas d’abord ses effectifs ou ses moyens financiers qui, nous le savons bien, ne sont pas débordants, mais la qualité et la pertinence de son projet éducatif. « Tout recevoir, tout donner » : en fondant son action éducative sur l’eucharistie vécue et célébrée, le MEJ tient là une valeur sûre. La spiritualité eucharistique est un trésor qui n’est pas près de s’épuiser.
Laurent Grzybowski